La voie veineuse
Dès l’entrée du bébé évaluer du regard la dimension du problème. Se méfier du dix-huit mois bien potelé. Repérer les sites où nulle infirmière ou préleveuse de bilan sanguin n’a encore regardé. Par exemple face antérieure du poignet, dos du pouce, avant-pied. Se sentir humble, devant la recherche de voie veineuse tout le monde se retrouve à égalité. Il y a des hiérarchies occultes qui ne s’éprouvent que dans le feu de l’action. Mais tout le monde connaît la main d’or de telle jeune interne. Ici le savoir académique ne compte pour rien, la liste des publications non plus. Même la pratique n’est pas toujours une garantie.
Choisir un lieu de ponction. Dire que pour certains il suffirait de regarder… D’autres, ou les mêmes, vous parleront du toucher de l’ostéopathe, du nez de l’œnologue ou de l’oreille de l’accordeur de pianos. Ajoutons-y pour notre part la pulpe des doigts qui voit en aveugle, tout comme nous dit-on l’œil écoute, le conduit veineux blotti sous la peau profonde. Toucher avec plus d’insistance le site de ponction judicieusement choisi, éprouver sa chaleur, sa plénitude, signe que du sang y circule, ce sang que l’on va chercher, viser sans le voir à la pointe de l’aiguille. Ou au contraire rencontrer, désolé, une peau froide à la complexion grise au-dessus d’une chair sans consistance. S’enquérir du denier biberon d’eau sucrée : le bébé mal hydraté a les veines vides et plates. Anticiper alors avec dépit des difficultés sans fin, peut-être au final un échec. Mobiliser tous les sens pour une représentation du fragile tuyau désiré : trajet, calibre, solidité, coudures ou bifurcations imprévues, irrégularités laissées par des agressions antérieures. Se surprendre à regarder sa propre main ou celle du collègue, aux veines rubicondes, inutilement offertes, mais ce n’est pas de celles-là qu’il s’agit. Revenir au réel.
Parler à cette veine, solliciter sa réponse. Je veux dire : tapoter, caresser, frotter la peau, la chauffer, donner des pichenettes, abaisser main ou pied pour que le sang y afflue. S’aider du garrot qui le piège, mais qui trop serré ou trop longtemps laissé en place n’aidera plus. A chacun sa gestuelle, aussi individuelle que le son de la voix. Certains s’aideront de représentations mentales, qu’ils n’avoueront pas au premier venu. Vous glisseront dans un souffle qu’ils lui parlent pour de vrai, à cette veine, qu’ils lui demandent son aide, un peu comme le chasseur des plaines parlait au bison avant la chasse, lui demandait pardon d’avoir à nourrir son clan et lui-même.
Ou aura choisi l’instrument optimal. Pas seulement le bon calibre, ni trop ni trop peu, celui qui remplira son office sans créer de dégâts inutiles, mais aussi celui qu’on aime, qu’on a bien en main, dont on apprécie le contact. Prêt pour le geste : bien positionné, détendu autant qu’il est possible. Si l’enfant est trop bas le buste trop plié du soignant transmettra sa tension jusqu’au bout des doigts. Mieux vaut s’asseoir, mais certains s’obstinent et préfèrent souffrir, c’est ainsi. On est prêt intérieurement, en confiance autant qu’il est possible. Il y a une intuition, une sorte de visualisation du résultat, mais c’est toujours trop tard car le geste est déjà lancé. Succès ou échec sont ressentis comme évidence avant de se produire. Et si c’est la prémonition de l’échec, trop tard pour s’arrêter. La représentation mentale, c’est toujours après.
Geste décidé (il faut traverser la peau), geste retenu (surtout ne pas aller trop loin). Délicate combinaison de ces deux qualités de force et de douceur, dont bien des artisans d’autres métiers pourraient nous parler avec leurs mots. Ce qui se voit de l’extérieur peut ressembler à une sorte de caresse. En un temps, peau et paroi veineuse traversées, ou en deux et alors entre les deux on marque un temps, on se repère, on s’assure par une traction savamment dosée sur la peau que la veine ne peut s’enfuir, glisser, se cacher devant la pointe acérée qui la vise. Se féliciter, si on est un peu ancien dans le métier, du progrès des matériaux, du tranchant irrésistible de l’aiguille qui minimise l’effort et rend le geste plus précis.
Bébé dort sous le masque. Le soignant libéré de la crainte de faire mal n’a de souci que de son geste. L’anesthésiste est un peu moins rassuré, il sait qu’un accès veineux est une sécurité et qu’à ce moment il ne l’a pas encore. C’est pourtant l’idéal, mais parfois, bien obligé, on se contente du protoxyde d’azote qui gomme la douleur mais n’interdit pas le mouvement. Au contraire il le libère, il semble en décupler la force. Car même s’il ne ressent pas la douleur de la piqûre, bébé n’apprécie pas la gestuelle qu’on lui impose et s’en défend. Qui s’est livré à maint bras de fer matinal avec le petit poignet ou pied libérant toute sa puissance dans un mouvement de retrait regardera désormais avec respect le petit athlète joufflu acharné à vivre. Acharné, lui, à contrôler son geste jusqu’au bout le professionnel se dira qu’il serait plus facile d’enfiler une aiguille sur le pont d’une barque secouée par la tempête.
Reflux magnifique du sang dans le capuchon de l’aiguille. Mais déjà avant on avait senti la perte de résistance au bout de l’aiguille qui ne rencontrait plus sur son passage un tissu mais un flux de liquide. A présent « monter », deuxième temps décisif. Faire coulisser le fragile tuyau de téflon sur l’aiguille, ce faisant élargir un peu l’ouverture de la paroi veineuse. Prier pour que la veine assume cette seconde agression, ce à quoi en général elle consent. Le faire coulisser jusqu’au bout : le moindre millimètre laissé libre se plierait et se replierait sur la peau, ce serait l’obstruction sans remède. Pester parfois parce que « ça ne monte pas ». Elaborer dans l’urgence une hypothèse explicative : anatomie capricieuse ou rétrécissement localisé ? Le dialogue avec la veine se fait alors plus insinuant. Ses communes figures de style : la délicate rotation spiralée imprimée au cathéter, l’injection prudente de petites quantités de liquide à la seringue pour vaincre la résistance. Ou bien tout simplement un petit temps d’attente car la veine est vivante, elle s’est peut-être rétractée, j’allais dire en signe de protestation ? Va-t-elle se détendre si on lui en laisse le temps ?
Quand les savoirs pratiques ont une chance de s’exprimer on perçoit toute leur richesse. « L’enfant stressé retient le sang » disait une infirmière préleveuse. Un enfant régulièrement perfusé était bien d’accord. Il réclamait la présence du clown car avec lui, assurait-il, la perfusion passait mieux. Ce n’était pas juste : avec le clown ce mauvais moment se passe mieux. Disons-le ainsi : il riait dans ses veines, ou ses veines riaient en lui.
Ce savoir de la main avait bien une dimension réflexive, il incluait un savoir d’expérience sur la motricité automatique des vaisseaux sanguins ! S’il y avait conscience de la main en action, il y avait aussi conscience du corps sur lequel s’exerçait le geste. C’était bien plus que de la pure dextérité : une dextérité intelligente, porteuse d’expérience. J’ai même trouvé ceci, qui témoigne de l’ancienneté et de la diffusion des savoirs pratiques qui sont ici à l’œuvre (« Enquête sur les savoirs indigènes », Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou, Gallimard Folio Actuel 2001). Il s’agit de l’hôpital d’Alice Springs où sont soignés des Aborigènes australiens. Les auteurs parlent des « corps fermés dont les infirmiers les plus chevronnés n’arrivaient pas à trouver les veines tandis que, prévenus Dieu sait comment, d’étranges ainés, silencieux, aux visages ascétiques, manifestement épargnés, eux, par la déchéance, surgissaient dans l’encadrement d’une porte, semblant veiller à ce que le sang noir ne coule pas hors de leur Loi. Et il ne coulait pas ». En en cherchant mieux on peut remonter jusqu’à Franz Anton Mesmer : assistant aux consultations d’un médecin célèbre il remarqua que lors des saignées le sang coulait en abondance. Mais qu’il s’arrêtait lorsque le médecin s’absentait pour changer de palette. Pouvoir de la présence qui contribua à sa conception du magnétisme animal[i].
[i] « Un jour, rapporte Mesmer, me trouvant près d’une personne que l’on saignait, je m’aperçus qu’en m’approchant et en m’éloignant, le sang variait de façon remarquable ; et a ayant répété cette manœuvre dans d’autres circonstances, avec les mêmes phénomènes, je conclus que je possédais une qualité magnétique, qui n’était peut-être point si frappante chez d’autres » (FA Mesmer, « le magnétisme animal », R Amadou, Payot 1971). Il semble qu’il s’agit d’un souvenir d’enfance de Mesmer. Il affirma avoir par la suite aussi bien rétabli le cours des règles que guéri une hémoptysie. Au XIV siècle déjà Henri de Mondeville parlait de ces empêcheurs de saigner, pour s’en plaindre.
Sentir cette vie élémentaire qui se manifeste en vasomotricité capricieuse. Il faut, puisqu’on nous le demande, profiter de la ponction pour extraire les quelques centimètres cubes de sang nécessaires à tel examen prescrit. Eprouver la futilité de forcer les choses à coup de seringue aspirante. Rien ne vient, la veine n’a que mépris pour le coup de force. Attendre une fois de plus, une goutte vient, paresseuse, au capuchon du cathéter, puis une autre après un temps qui semble infini, et qui l’est. Et puis tout d’un coup le flux se libère, la voie est ouverte pour les gouttes pressées qui bientôt ont rempli le petit tube. Eprouver l’imprévisible de ce dialogue avec l’organique. Ne pas craindre de paraître fou en assurant qu’il s’agit bien d’un dialogue. S’assurer du petit miracle en branchant la perfusion, s’étonner une fois de plus qu’un aussi petit vaisseau admette un tel flux liquidien.
Savoir que tout n’est pas réglé, que même le pansement fait et la perfusion assurée et son débit réglé, la veine peut décider qu’après tout ce flux contre nature, à l’envers de la nature, n’est pas admissible. Alors elle éclate pour des raisons qu’elle seule connaît. S’étonner que, dans toutes ces années d’études médicales, de la vie intime des veines il ait été si peu question. Tout recommencer. Savoir que de retour dans la chambre les parents feront des traces de ponction le compte minutieux.
Quittons ici l’infinitif obligé, qui s’était déjà estompé avant. Il disait à sa manière le temps suspendu du geste, suspendant aussi les temps de la conjugaison, la répétition quotidienne des petits flashs de temps suspendus, la présence. La pratique apprend que tout ce qui peut se produire se produit un jour ou l’autre, que tous les possibles s’actualisent. Il suffit d’attendre. Le travail c’est tout ce qui fait que le but fixé est finalement atteint, parce qu’on a spontanément fait face à tout ce qui n’était pas prévu. Le travail c’est l’imprévu assumé, déséquilibre permanent et retour à l’équilibre. A l’heure où l’on parle tant de souffrance au travail je veux dire que tout cela bien sûr n’arrivait pas tous les matins, mais que tout cela arrivait.
Le travail c’est aussi ; comme le montre un sociologue, « ce que sait la main », et pas seulement dans les artisanats traditionnels, mais dans les métiers les plus contemporains, dans les contextes les plus dépendants de la haute technologie (« Ce que sait la main. La culture de l’artisanat », Richard Sennett, Albin Michel 2009). Si seulement les dépositaires et acteurs de tous ces savoirs en réalisaient la valeur, et entreprenaient tout simplement, mais avec leurs mots, de les dire ! Et si seulement on le leur disait ! Richard Sennett a raison, mais ce que sait la main la main n’en sait rien.
Comme le bébé, sans porte-parole elle ne peut dire ce qu’elle sait. Elle a besoin d’une re-connaissance pour savoir ce qu’elle sait et ainsi continuer de le savoir, et peu à peu savoir plus. La plus commune des reconnaissances est le produit même du geste, s’il est reçu et valorisé par un autre.
Il ne l’est plus, s’il l’a jamais été.
Nous en sommes arrivés à un stade extrême de la prolétarisation comme perte des savoirs, qui atteint jusqu’au savoir de savoir quelque chose. Elle s’est tellement infiltrée dans nos esprits que même les professionnels les plus qualifiés sont conduits à s’imaginer ne plus rien savoir du tout. Viennent à la place du vide ainsi créé, référentiels, benchmarking et évaluations qui ont une caractéristique commune : ils se situent toujours en extériorité par rapport à l’acte de travail. On ne se demande pas assez comment, sur quel terrain déjà dévasté ils ont pu triompher si facilement, avec si peu de résistances. Je ne peux m’expliquer autrement ce qui arriva quand j’eus à encadrer un groupe de parole dans un grand centre pédiatrique de moyen séjour. Les infirmières ne vinrent pas. Celles qui étaient le plus directement en charge des soins aux enfants, n’estimaient pas avoir quelque chose à en dire et pouvoir le dire dans ce cadre.
Cela conduit à établir une distinction entre travail et emploi, à réaliser du même coup combien le travail est une denrée rare (Bernard Stiegler, « Libération » 19-5-15) : « l’employé est privé de son savoir, qui est « encapsulé » dans la machine. En ce sens le salarié ne « travaille » pas : il sert un système technique. Le travail c’est tout autre chose : il produit du nouveau, pas seulement de l’innovation mais de l’imprévu ». Aspirer à travailler, et pas seulement à avoir un emploi serait alors devenu un sort assez commun. La nécessité d’avoir un emploi rend invisible l’aspiration réelle : pouvoir travailler.
Paroles d’établis
Ceux qui font n’ont pas souvent eu les mots. C’est pourquoi tout jugement politique mis à part, les militants d’extrême-gauche des années 60 « établis » en usine sont à écouter quand ils livrent leur expérience, car leur position spéciale, sur la marge, à la fois intérieure et extérieure leur a permis de dire. Michel Arbatz (« Le maître de l’oubli », Ed. Le temps qu’il fait, 2008) qui ne porte pas encore ce nom et n’est pas encore devenu chanteur-compositeur, a trouvé les mots pour dire son travail d’ouvrier soudeur. Surprise, il parle de la soudure comme j’ai parlé de la voie veineuse. Etonnement, lui comme moi nous employons des verbes à l’infinitif, temps du projet immédiat, moment où l’on se représente l’action à faire et déjà engagée, si proche qu’il n’y a même plus l’espace du « je », et ce n’est pas là dire que le sujet est absent. C’est plutôt le contraire, c’est justement à ce moment qu’il se réalise tout entier, sans s’y perdre, dans cette action qui est à ce moment le tout du présent. Il se souvient lui aussi d’avoir parlé à la matière en fusion comme je parlais à la petite veine introuvable du bébé, tout en me disant que j’étais certainement fou.
Et lui aussi s’excuserait presque de cet aveu. Je me suis moi-même étonné de ces similitudes…avant de comprendre ceci : dès lors qu’elle est travaillée toute matière acquiert pour celui qui la travaille les caractéristiques du vivant et l’imaginaire la traite comme telle. Elle résiste ou obéit, elle ruse ou proteste, elle éprouve des sentiments auxquels répondent les sentiments de celui qui la travaille. Dès lors la différence n’est plus si grande. C’est pourquoi penser le soin à partir de sa matérialité, penser le vivant sur lequel on agit comme matière ne fait pas du vivant une chose, c’est même le contraire.
Dans « La terre et les rêveries de la volonté » Gaston Bachelard développe largement un imaginaire du travail de la matière, des différents types de matière. Entre la pure technique du geste (qui n’est jamais pure !) et l’intersubjectivité il y a en effet le domaine infiniment riche, si l’on s’y intéresse, de cette imagination matérielle et dynamique qui se déploie autour du soin dans l’esprit de celui qui travaille. Qui s’y déploie nécessairement, même s’il n’a pas l’opportunité d’en dire quelque chose.
La colère de Goujet et celle de Boit-sans-soif
Je me souviens d’une lecture d’école communale, sans doute destinée à nous mettre en garde contre les dangers de l’alcool. Même si par ailleurs il était dit dans le même manuel que tout français devait boire un litre de vin par jour, et tout travailleur de force, deux ! Elle était extraite de « L’assommoir » de Zola. Deux forgerons également expérimentés faisaient un concours où il s’agissait de forger un boulon. Ils se nommaient Goujet et Boit-sans-soif, ce qui se passe de commentaires. Tous deux réalisaient en même temps un travail parfait, mais à la fin l’intempérant Boit-sans-soif donnait les deux coups de marteau de trop qui ruinaient toute l’œuvre. L’alcoolique ne se maitrisait pas, alors que le tempérant Goujet qui ne fréquentait pas le cabaret était donné en exemple. L’activité désordonnée de Boit-sans-soif contenait une destructivité, une colère contre la matière, ou peut-être contre sa vie de prolétaire, colère qui ne trouvant plus son objet se retournait contre elle-même.
Dans le geste parfait de Goujet il y a aussi la colère, mais c’est une colère intelligente : « il avait le jeu classique, correct, balancé et souple ». Et ce n’est pas pour rien que revient la métaphore dansante : « en cadence, comme une dame noble, l’air sérieux, conduisant quelque menuet ancien ».
Bachelard parle de la colère, ce sentiment qui ne se diffère pas et qui pour cela a partie liée avec la vérité : « La colère est une révélation de l’être. Dans la colère on se sent nouveau, rénové, appelé à une vie nouvelle ». Il cite Jacob Boehme : « Nous avons tous la source de la colère et de l’âpreté dans l’origine de notre vie ; autrement nous ne serions pas vivants ». C’est une colère « qui ne brise rien. C’est aussi d’une colère bien spéciale que parle l’énergétique chinoise. Elle est du domaine du jeune yang: énergie du printemps, énergie naissante de l’enfance. Dans le cycle des cinq éléments la colère qui est printanière nourrit le cœur, énergie de l’été, mais elle est contrôlée à son tour par celle de l’automne, énergie de mesure et de réflexion.
Ce cycle, qui désigne un fonctionnement optimal, peut se pervertir de diverses façons, ce dont la tradition chinoise rend également compte. Le contrôle peut faillir, ce sont alors les « yeux de loup » de Boit-sans-soif qui rendent compte d’une énergie-foie en excès. Mais le surnom qui connote une avidité jamais satisfaite, comme le fait que le boulon ne « survit » pas aux derniers coups de marteau, ceux qui échappent à leur auteur comme un passage à l’acte, mettent sur la voie de ce que Winnicott a décrit comme utilisation de l’objet. Celui-ci doit pouvoir être détruit en fantasme de façon répétée, et toujours y survivre… pour pouvoir finalement être aimé. Pour Winnicott l’agressivité est d’abord liée chez le jeune enfant au libre exercice de sa motricité. Mais cette agressivité liée à la motricité ne perd pas entièrement son autonomie lorsqu’elle s’intègre aux pulsions libidinales. Il demeure quelque chose de la motricité libre du tout-petit et on en trouve la trace chez certaines personnes « que nous appelons spontanées, bien dans leur peau, qui donnent l’impression de ne jamais être obligées de faire un effort pour réaliser ce qu’elles souhaitent. Pascal Quignard parle à ce propos de « corps enchantés de vivre » (« Les désarçonnés », Grasset 2013) et la formule même nous enchante. Boit-sans-soif ne connait pas cet enchantement, ne peut « aimer » son œuvre et la détruit. On peut supposer que chez lui l’expérience primaire de satisfaction a été mise à mal, laissant subsister une destructivité non liée psychiquement.
Par la suite c’est cette agressivité qui permettra au mieux de reconnaître, en passant par l’aire transitionnelle, une extériorité de la matière et de concevoir une possibilité de la modifier et d’agir sur elle, ce qui définit le travail. C’est bien ainsi que Zola décrit l’ouvrier Goujet et son geste professionnel, en l’opposant à son concurrent. La différence physique entre les deux ouvriers, dont Zola rend compte, n’est pas selon moi à mettre sur le seul compte de l’alcoolisation ou de la tempérance, même dans un livre intitulé « L’assommoir ». Tout rabattre sur ce fléau rabaisserait le texte de Zola au niveau de la leçon de morale un peu lourde, et c’est bien ce qui nous était présenté alors.
Ainsi le geste juste, quand il est question de soigner un enfant, trouve-t-il ses racines dans l’Infantile du soignant, permettant d’accueillir sans y sur-réagir dans la surviolence la force physique étonnante du bébé lui aussi tout entier engagé dans son geste de résistance. Cela n’a rien à voir avec le supplément d’âme qu’il faudrait ajouter une fois que l’essentiel du soin a été assuré, mais que l’on pourrait dans le même mouvement en retirer si on n’a pas le temps. Il est toujours déjà là, inclus dans l’intention du soin mais ne peut pas toujours se manifester. Et s’il ne s’y manifeste pas c’est que d’autres forces s’y opposent, forces également incluses. L’essentiel est de montrer que c’est dans la pratique et pas ailleurs que se situent les éléments nécessaires et suffisants, ce qui autorise à penser le soin à partir de lui-même. Et ce qui autorise le professionnel du soin à le penser à partir de sa position, de sa pratique et de ses gestes quotidiens, et de rien d’autre.
Danser le soin
A interroger cet imaginaire qui se déploie autour du soin on y retrouve les figures de la danse, convoquées pour décrire cet espace particulier dans lequel prend place le travail thérapeutique.
« Il y a de nombreuses années je me suis trouvé rendre visite à un enfant qui se faisait soigner à Berck pour une faiblesse des os. J’ai vu opérer dans cette clinique de Berck un véritable artiste. Périodiquement il devait refaire le plâtre d’une jambe pour soutenir la fragilité de ce membre qui s’était tordu sous le poids du corps et en même temps pour rectifier la courbure malencontreuse. Il lui fallait se conformer à la déformation, l’épouser en quelque sorte telle qu’elle était, telle en effet qu’elle n’aurait pas du être, et à la fois très légèrement, c’est-à-dire très peu à chacune des séances, rétablir la forme de la jambe, celle commune à tous les garçons vigoureux. Il passait et repassait tout au long sa main, pleine d’un enduit qui allait bientôt sécher. Déjà il dessinait dans l’espace le rétablissement total, mais il ne l’effectuait pas encore. Le mouvement de son bras et de tout son corps semblait se soumettre au défaut, mais c’était pour le corriger imperceptiblement. Par cette sorte de danse, la plus subtile et la plus ferme, ce médecin m’avait montré sans que j’ai pu jamais l’oublier, ce que pouvait être le rapport d’un corps humain à un autre corps humain, le travail d’une main qui ose remodeler la vie et qui pourtant demeure une caresse, un mélange de respect, de douceur et d’audace » (François Roustang, « La fin de la plainte », Odile Jacob 2001) .
La musique et la danse viennent comme des métaphores pour évoquer l’espace dans lequel prend place le travail thérapeutique. Qu’est-ce que danser ? Que fait celui qui dans un couple conduit la danse, sinon user des moyens les plus clairs dans leur intention, mais aussi les plus subtils (une légère pression de la main, une impulsion du tronc, un regard doivent suffire) pour signifier un déplacement, une direction ou une figure ? Conscience précise de l’acte à réaliser, modestie des moyens mis en œuvre.
Cette référence spontanée à la danse se retrouve aussi bien chez Boris Dolto que chez Michel Odent, un des acteurs du mouvement de la naissance sans violence, et dans toute la filiation haptonomique . Le grand pédiatre T. Berry Brazelton parle ainsi de Sally Provence dont il fut l’élève (« Nouvelle version de la NBAS, « Devenir » 12-2000-1) : « Je me souviens de Sally Provence lorsqu’elle interagissait avec un nouveau-né. Ils étaient comme deux danseurs de ballet dans un pas-de-deux. Le bébé se montrait capable de répondre par un état de vigilance et des réponses accentuées. Je me revois lui disant : « Sally, c’est presque comme si vous rentriez à l’intérieur de ce bébé »
« Dans ce mouvement du soin, où liens, émotions et imaginaire se répondent et résonnent, il y a comme une chorégraphie à deux. Le soigné arrive avec son symptôme, sa demande, esquisse un pas, le soignant se laisse émouvoir et s’incline vers lui, le soigné amplifie alors son mouvement et le soignant s’avance un peu plus et donne la main sur laquelle le soigné va s’appuyer pour s’élancer dans une figure de saut. » (Anne Maurel-Arrighi « Pratiques » N°16)
Cela s’impose comme une évidence, mais cette évidence ne se prête pas facilement à l’analyse, et l’expérience ne suffit pas pour l’expliquer. Ces professionnels seraient sans doute les premiers surpris si on leur annonçait qu’ils « dansent » avec leur patient. Avec ce talent qui s’impose comme une évidence, nous sommes proches de la notion chinoise de gong fu, qui du coup devient moins exotique. Dans les textes taoïstes ce texte se référait à des gens humbles qui avaient acquis la pleine maîtrise de leur acte, et dont le geste était exactement adapté au but recherché, des gens normaux sans rien d’exceptionnel.
On trouve ainsi chez Tchouang-Tseu la description du gong fu du boucher découpant une pièce de viande, ou celui du charron ferrant une roue de charrette. Alors le geste devient avec le temps et la pratique de plus en plus parfait, adapté à son but, économe en énergie comme en investissement. Sans être automatique il se réalise dans une sorte de distraction un peu distante. Loin d’épuiser son auteur il le nourrit. Une telle attitude se prêterait au mieux à une transmission sans paroles, à la co-construction d’un idéal professionnel. Pas de raison alors pour que cela s’arrête un jour. Rien non plus que nous ne pourrions transposer à nos propres métiers. !
Et qu’il s’agisse de tuer un animal et non de soigner ne change rien à l’affaire. D’autant que l’écrivain, évoque à ce moment les gestes de la sage-femme, reliant une extrémité de la vie à l’autre. Sous la plume d’Erri de Luca, c’est le geste d’une paysanne (« Acide, arc-en-ciel », Gallimard 1994) :
« La plupart au moment de porter leur coup, déploient par excès une force démesurée. Ils ont peur de ne pas y arriver, ils exagèrent même s’ils sont habiles. Une vieille fermière avait par contre la juste mesure, presque légère, dans le tour de main qui brise la nuque du lapin. C’était un coup donné distraitement, les yeux absents du geste précis des mains. Elle exécutait le mouvement non seulement avec le minimum d’effort, non seulement avec ce que tu appelais du style, mais avec grandeur. C’était de la pitié, force lointaine, mais sûrement pas de la compassion. Pitié, sueur, pudeur de celle qui met au monde et supprime bêtes et enfants. Elle immolait ses lapins, le visage impassible sous une cascade de rides ».
Une pitié lointaine qui n’est pas de la compassion, une absence apparente qui est une totale présence… Nous sommes bien dans des notions paradoxales, mais comment s’en passer quand il s’agit de rendre compte de ces états si particuliers ? Après tout quand Myriam David et Geneviève Appell avaient voulu rendre compte d’une position du soignant engagé dans « une relation réelle mais consciemment contrôlée dans laquelle l’adulte ne fait pas peser sur l’enfant sa propre affectivité et ses attentes personnelles », elles avaient eu aussi recours à une formule paradoxale : le maternage insolite. Pour autant Myriam David et Geneviève Appell ne cachaient pas un instant les difficultés de l’entreprise, ni les moyens qu’elle suppose en terme de réflexion en commun, d’attitude de recherche, de formation, d’expérience, de temps.
Présence à soi
La présence à soi du soignant se signale dans le quotidien du soin, très simplement, par la sensorialité vécue qui rend présent l’environnement du soin, comme dans cette vignette clinique :
« C’est un petit garçon de 1 an et demi atteint d’une maladie congénitale. Il arrive avec 1h30 de retard et des parents qui semblent inquiets et stressés. Ils ont oublié le doudou et ses jouets sont restés dans la voiture. Il est habillé avec un t-shirt rouge et un pantalon, ses cheveux sont plus ou moins longs, il apparaît fatigué par le trajet en voiture.
Appelé pour entrer dans la salle de soins, il pleure déjà, et semble avoir peur dans cet univers inconnu pour lui. Il vient pour le cinquième pansement ici mais d’autres ont été faits à domicile et les parents signalent que ceux-ci se sont plutôt mal passés avec l’infirmière libérale. Il ne connaît ni la pièce, ni les soignantes.
Dans la pièce il y a à disposition des jouets : une toupie jaune, un hochet avec beaucoup de couleurs vivantes qui peut faire du bruit léger et un livre coloré… Je m’approche de lui en lui montrant ces jouets, je manipule le hochet à côté de lui, il semble intéressé, tourne sa tête à droite. Puis nous proposons au papa de faire des bulles de savon, il accepte… »
Dans ce contexte le succès du soin n’allait pas de soi et aucune des difficultés prévisibles n’est omise. Mais, à la fois observatrice et actrice la jeune soignante en formation n’a pas manqué de voir que le T-shirt de l’enfant est rouge, la toupie jaune, elle a pris note des couleurs du livre et des possibilités sonores du hochet. C’est polysensoriel, et tous ces détails apparemment non nécessaires à la compréhension sont pourtant précieux car ils désignent une position subjective du professionnel, une position de présence. Il y a une nécessité de rapidité, d’urgence. Le regard fait le tour du lieu et y repère les ressources possibles. C’est Ulysse dans la grotte du cyclope notant en un clin d’œil la présence de l’épieu qui va bien lui servir…
L’utilisation intelligente de la distraction par la soignante, puis par le père qu’elle y associe, ne pourrait avoir lieu s’il n’y avait pas d’emblée cette présence à l’ensemble des éléments de la situation pour y repérer ce qui va être de nature à aider l’enfant. Cet environnement matériel dont elle peut tirer des ressources est en position de tiers secourable. Il prémunit contre les dangers du face à face, encore faut-il l’avoir intégré. Une soignante entièrement occupée intérieurement par le geste technique à réaliser, ou par ses propres émotions, n’en aurait pas été capable. Une fois de plus présence à soi et présence à l’autre ne s’opposent pas mais se conditionnent mutuellement.
Il ne s’agit pas d’affectivité mais d’actes concrets, de saisir le réel dans toute son intensité en s’y incluant soi-même, sans le juger, puis faire ce qu’il y a à faire… C’est le « mettre la main à la pâte » de Haruki Murakami (« La ballade de l’impossible », Belfond 10-18, 2007) : le passage où la jeune Midori parle des soins qu’elle donne à son vieux père gravement malade et hospitalisé est particulièrement éclairant quand elle l’oppose au sentimentalisme impuissant des autres familles qu’elle côtoie à l’hôpital. Pourtant personne ne peut nier que Midori aime son père. Sa présence pure et efficace est aussi présence à elle-même : plus tard mangeant son plateau-repas de bon appétit elle s’étonne de voir d’autres familles aussi incapables de se restaurer qu’elles s’étaient montrées incapables d’aider au chevet de leur proche.
Faute de pouvoir remédier à leurs handicaps, le jeune psychiatre Stanislaw Tomkiewicz passait des heures à les examiner aussi complètement que possible, notant scrupuleusement tout ce qu’il constatait. En même temps il jouait avec eux. Il était le seul à faire cela et ne fut pas long à s’apercevoir, de même que les soignants, que ce temps passé avec les patients avait un effet thérapeutique. Ces grands polyhandicapés allaient mieux ! C’est après-coup qu’il appela cela son AAA, son attitude authentiquement affective (« L’adolescence volée », Stanislaw Tomkiewicz, Calmann Lévy 1999), dénomination intéressante dans la mesure où le but premier ne relevait pas du domaine de l’affectif : il était de connaître et d’apprendre. Et si l’AAA, concept laissé orphelin par ce grand psychiatre et qu’il serait temps de réinterroger aujourd’hui à la lumière de l’empathie et de la bien-traitance, c’était juste faire son boulot, mais alors le faire vraiment ? Il y aurait d’utiles distinctions à opérer entre une affectivité non spécifiée, pur sentimentalisme infligé au patient, et ce qu’il concevait et pratiquait : une affectivité authentique, incluse dans le geste. « Soigner. Donner des soins, c’est aussi une politique. Cela peut être fait avec une rigueur dont la douceur est l’enveloppe essentielle. Une attention exquise à la vie que l’on veille et surveille. Une précision constante. Une sorte d’élégance, une présence et une légèreté, une prévision et une sorte de perception très éveillée qui observe les moindres signes. C’est une sorte d’œuvre, de poème (qui n’a jamais été écrit) que la sollicitude intelligente compose ». (Paul Valéry cité par Bernard Golse, Sylvie Gosme-Seguret, Mostafa Mokhtari, « Bébés en réanimation. Naître et renaître », Odile Jacob 2001)
Un engagement professionnel bien conçu, conforme à une sorte de sagesse non écrite, ne devrait-il pas se fournir à lui-même son propre carburant, se nourrir de lui-même, de sorte qu’avec le temps on irait non vers la fatigue et l’aspiration à la pêche à la ligne, mais simplement vers une plus grande légèreté, une légèreté de plus en plus efficace, une suprême économie de moyens? Il n’y aurait alors pas de raison particulière pour que ça s’arrête un jour. Un peu comme ces très vieux maîtres d’arts martiaux, ou ces danseurs très âgés, qui donnent l’impression, à les observer, qu’il n’y a pratiquement plus de mouvement, qu’il n’y a plus que la circulation de l’énergie à travers les chemins du corps. Un état privilégié qui bien sûr se prêterait tout naturellement à une transmission de l’expérience qui n’aurait presque plus besoin de mots…
Même si j’ai rencontré de tels professionnels, et si ces rencontres m’ont marqué, il faut dire qu’elles ont été l’exception bien plus que la règle. Et pourtant bien peu d’expériences de la vie offrent, comme l’expérience du travail, cette particularité de la répétition dans la longue durée, qui justement permettrait l’accession à cette dimension précieuse. Que dire de l’attitude intérieure qui permet que les gestes soient justes ? Un souvenir me revient, transmis par une personne qui avait gardé du pédiatre de son enfance l’image, certainement remaniée par la mémoire, d’un vieux monsieur tout blanc, tout doux. Un détail, répété à chaque consultation, faisait pour elle sens et image. C’était la serviette blanche qu’il dépliait avec soin et posait sur sa poitrine naissante pour l’auscultation dite “immédiate ” c’est-à-dire sans stéthoscope, l’oreille directement au contact du corps. Pour elle cela signifiait : douceur, respect du corps de l’autre alors même que, sans médiation technologique, on le touchait plus qu’on ne le touche aujourd’hui.
C’est la médecine des années 50. Cette humanité des pédiatres, des médecins de famille, qui les rendaient si proches du patient et de ses ressentis, tout le monde a une histoire à ce sujet, mais peu se demandent où, sur quels bancs de faculté ils l’avaient apprise. A la même époque Eugène Smith, photographe américain, dresse des portraits saisissants d’un médecin de campagne le docteur Ceriani[ii]. A travers ces images restées célèbres dans l’histoire de la photographie dite humaniste, on ressent la relation immédiate (comme l’auscultation « immédiate » du pédiatre) à la réalité charnelle du patient, le poids humain d’une présence sans intermédiaire, confrontée à la souillure, à la douleur et à la mort. Christiane Vollaire illustre dans cette figure l’opposition de deux regards, celui du médecin et celui de l’infirmière, pour montrer que cette opposition n’est pas si irréductible, qu’elle n’est pas de nature mais a une histoire. Et que ces deux positionnements se rejoignent dans cette figure du clinicien susceptible d’assumer les tâches serviles autant que la réflexion diagnostique, la décision thérapeutique autant que la prise en charge physique.
Le Docteur Ceriani au travail (photographie d’Eugene Smith)
ii] Christiane Vollaire « Une fonction soumise au genre », Pratiques N°14-15 « Profession infirmière », septembre 2001
Le geste juste est un au-delà de la simple empathie, mais il la suppose pour la dépasser et en éviter les écueils. Il reflète l’ajustement intérieur de celui qui prend soin. Il éloigne sans les nier les émotions excessives, le feu des passions. Bien des professionnels ont su inventer, pour leur propre compte, une attitude qui concilie l’efficacité soignante avec une attitude authentiquement accueillante. Les patients ne s’y trompent pas. Ils savent très bien reconnaître ce talent, cette qualité de « main » particulière dans l’accomplissement du soin, dans le contact avec le corps malade de l’autre. « Avec lui (ou elle) c’est magique » entendra-t-on. Ils savent reconnaître ce « geste juste » dans le soin et le recherchent, du moins quand ils ont le choix. Le travail du soignant, considéré ainsi, n’est pas dépense sans retour. Une source d’énergie est ici trouvée, dans le plaisir qui accompagne la libération d’une tension émotionnelle qui a été précédemment vécue et acceptée. Encore une fois : cette source est au cœur du travail ou elle n’est nulle part. Etudiant la société traditionnelle française Françoise Loux (« Traditions et soins d’aujourd’hui » InterEditions 1990) notait que l’on savait relativement peu de choses sur le corps comme instrument de travail. Elle rappelle que Marcel Mauss avait préconisé un inventaire des savoir-faire du corps, inventaire qui reste largement à faire. J’ai voulu montrer, à partir d’une pratique des plus quotidiennes dans le monde du soin, que nous y sommes toujours.
Ce texte reprend trois chroniques publiées dans la revue « Spirale-L’aventure de Monsieur Bébé » Editions Erès :
« Aimer les enfants ? » dans le N°47
« Regards » dans le N°50
« La voie veineuse : mode d’emploi » dans le N°53