Peut-être ne voyons-nous que les fantômes qui nous concernent personnellement, qui ont quelque chose à nous dire. Quand j’ai découvert « Bunny Lake a disparu », ce film d’Otto Preminger qui se déroule dans le Londres des années 60 m’est apparu comme une sorte de fantôme, de négatif ou d’ombre portée de l’immense effort qui avait été réalisé en Angleterre, une génération avant et dans les pires conditions possibles, pour comprendre et pour prendre en compte le lien primaire entre l’enfant et sa mère ou les autres personnes qui prennent soin de lui. Effort qui devait bien s’appuyer sur un présupposé commun : ce lien existe et l’enfant existe même s’il n’est pas là. Je me réfère en effet à ce moment particulier où ce lien a été mis en danger quand les enfants des grandes villes anglaises ont été massivement évacués pour les protéger des bombardements.

Revenons au film. Ann Lake arrive de New York et vient d’emménager à Londres avec sa fille Bunny de quatre ans. Arrivée en retard le matin pour le premier jour d’école elle a laissé sa petite fille dans une salle d’attente où il y avait déjà un bébé et l’a confiée, sans la lui présenter, à la cuisinière de l’école, elle-même fort mécontente du fonctionnement de l’institution[i].
Quand Ann Lake vient rechercher sa petite fille à la mi-journée celle-ci est introuvable. Les deux adultes qui auraient dû la s’occuper d’elle ne sont plus là et plus personne ne semble se souvenir d’elle. Entretemps la cuisinière a rendu son tablier, abandonnant ses portions de lait caillé qui visiblement ne lui rappelaient pas de bons souvenirs, il faut la remplacer au pied levé. Quant à Daphné l’institutrice de la classe de Bunny, elle a dû partir en urgence consulter son dentiste. Ne reste plus que le bébé qui était avec elle en salle d’attente.
A son arrivée Ann Lake s’est installée provisoirement avec sa petite fille et son frère Steven dans cette maison de Frogmore End qui appartient à un des collègues de celui-ci, en attendant d’emménager à une autre adresse. Steven qui n’est donc pas le père de Bunny travaille « temporairement » dans le bureau local d’un magazine. Rien n’est dit sur les raisons de cette expatriation. Steven a-t-il incité sa sœur à venir vivre à Londres ? Au reste y vit-il lui-même, ou plutôt vit-il quelque part ? C’est un homme toujours pressé qui donne l’impression de voler quand il se déplace à la course ou au volant de sa voiture de sport qu’il conduit à vive allure. Il ne semble avoir aucun domicile à lui, toujours en déplacement, colocataire de son collègue, bref un être sans lieu qui s’apprête à partir pour la Suisse. D’ailleurs ne s’est-il pas déjà procuré de l’agent suisse qu’il montre ostensiblement. ? Connaissait-il sa nièce qui vient d’arriver ? Oui il la connaissait, affirme-t-il. Ils viennent même de de passer quelques jours ensemble.
Ainsi dès le début de l’enquête, l’existence réelle de cette petite fille pourrait ne faire aucun doute pour le spectateur. Mais quand au tout début du film Steven arrive au 30 Frogmore End pour le déménagement il semble interloqué de trouver dans le jardin un doudou, qu’il ramasse, et une balançoire encore en mouvement. Y a-t-il là un enfant qui joue, et où est-il ? La porte de la maison est grande ouverte, il la ferme à clé. La mise en scène juxtapose la maison, l’école, les déplacements de Steven et ceux de la mère à travers Londres de façon telle que la chronologie ne peut être saisie avec certitude. Les scènes sont présentées à la façon des pièces d’un puzzle, sans lien temporel clair. Elles sont en fait simultanées. Comme en contraste la règle des trois unités, de temps de lieu et d’action, est strictement respectée : tout le film va se dérouler dans l’espace d’une journée, dans le quartier de Hampstead. Quant à l’action elle tient toute entière dans le titre du film.
Quand le dispositif de recherche se met en place, Preminger montre une force de police bien organisée, diligente et ne lésinant pas sur les moyens. Le superintendant Newhouse chargé de l’enquête est un homme consciencieux et plutôt sceptique. Il semble capable de s’identifier à une enfant de quatre ans à partir de son propre infantile très présent. Une enfant de cet âge ouvre les portes fermées et pense avoir été abandonnée si sa mère la laisse dans un lieu inhabituel puis disparait, dit-il très justement. Mais cet infantile n’est pas sans faille. La scène où, parlant de son enfance, il s’empare d’une des portions de lait caillé abandonnées par la cuisinière est significative. En a-t-il eu sa part suffisante en temps voulu ? Quelle situation de manque est évoquée ? Il a également senti l’étrangeté de cette famille « insaisissable » (elusive) et de ce curieux couple où le frère s’intéresse bien plus à sa sœur qu’à l’enfant perdue et probablement en danger, comme le fait remarquer Ada Ford, la co-directrice à la retraite. C’est une des deux fondatrices de l’école qui occupe à présent un appartement privé dans l’école. Elle écoute au magnétophone des enfants qui racontent leurs rêves, ou plutôt leurs cauchemars dans le but d’en faire un livre. On devine qu’elle a toujours eu un intérêt spécial pour la vie psychique des enfants, tandis que sa collègue Miss Benton se chargeait de la gestion quotidienne. L’entrée en jeu de Miss Ford est un véritable changement de registre. Son espace de vie devient un espace psychique où l’enjeu est de penser l’enfant. Ce qui s’annonçait comme un banal thriller acquiert une autre dimension.
La contagion du doute ou comment « rendre l’autre fou »
Accouru à l’école Steven cherche d’emblée à prendre l’ascendant, parlant haut et accusant tout le monde. Peu après la police découvre que tous les objets personnels de l’enfant ont disparu. Aucune photographie non plus. A partir de ce moment la petite fille n’existe plus que dans la mesure où sa mère dit qu’elle existe, et se conduit effectivement comme une mère qui aurait perdu son enfant. Que l’on entreprenne des recherches suppose au moins une conviction partagée : il y a quelqu’un à chercher. Cela Steven l’avait pourtant affirmé, mais à l’inverse de sa sœur il ne manifeste aucune inquiétude. A partir de là commence un jeu subtil où il va s’appliquer à entretenir la confusion.
Le superintendant Newhouse, chargé de l’enquête, se met à douter de l’existence de la fillette. Ann le dit à son frère qui dès lors s’applique à utiliser les dires de Miss Ford sur les compagnons imaginaires. Protégé par sa normalité très lisse Steven met le policier sur cette piste : petite fille, Ann Lake avait eu comme beaucoup d’enfants un ami imaginaire nommé Bunny ! Il n’en faut pas plus pour instiller un doute mortel qui est tout l’enjeu dramatique : la petite Bunny Lake n’existe peut-être pas, et dans ce cas celle qui se prétend sa mère est en proie à un délire de maternité. Du reste Ann Lake et sa fille sont-elles arrivées depuis quatre ou cinq jours ? L’incertitude entretenue par Steven aura la conséquence attendue : elles sont absentes de la liste de passagers où on aurait dû les trouver. L’enfant a pourtant un vrai prénom, Félicia. C’est ce que dit Ada Ford qui elle ne partagera jamais le doute envahissant : devant le policier elle traite Steven de « fieffé menteur ». Steven ne réagit pas mais elle s’abstient d’intervenir plus avant.
Si le doute prend peu à peu de la force c’est que le présupposé commun dont j’ai parlé est déjà bien attaqué. Il s’agit comme l’a écrit le psychanalyste Harold Searles de « l’effort pour rendre l’autre fou » et Steven s’y applique en virtuose, sachant d’instinct par où pénétrer le psychisme d’autrui[ii] accusant le policier et l’école du doute qu’il a lui-même suscité. Et nous voyons se défaire tout l’environnement humain qui devait accueillir et protéger l’enfant. L’équipe éducative voudrait maintenir le projet d’éducation libre et sans contraintes dont elle se réclame, mais ne semble plus y arriver. De fait elle est en voie de déliquescence : une directrice partie, une cuisinière qui abandonne la préparation du repas, des enseignants désorientés et des enfants en roue libre. Chacun regrette le temps de Mrs Benton, l’autre co-fondatrice de l’institution, qui n’aurait pas permis tout ce désordre.
Hors de l’école aussi le lien collectif de solidarité est en danger : quand la télévision du pub diffuse l’avis de recherche de la petite fille le serveur préfère changer de chaine au lieu de demander le silence, comme si lui-même n’y croyait pas, ne voulait pas savoir ou ne voulait pas que l’on sache. Nous voyons alors à l’écran des échos de la guerre froide, du Vietnam et des révoltes étudiantes, tout un monde gagné par le désordre et la violence des années 60, puis apparait un groupe de rock : les Zombies ! Quant au propriétaire inquiétant et intrusif qui accueille Ann Lake, transportant avec lui les restes de sa vie d’avant au Ghana, il ne fait rien pour cacher sa bizarrerie, au contraire il l’exhibe. Et c’est lui qu’un policier va traiter de bloody pervert devant un Steven soudain pétrifié.
Le spectateur lui-même se prend à douter, ne croit plus à ce qu’il voit. Une atmosphère de folie envahit le film, résultat de la destruction des liens qui régressent en anti-liens de haine meurtrière contre l’enfant. Cette haine, on va s’en apercevoir, est portée par Steven qui ne peut supporter l’idée que sa sœur ait eu un enfant. Leur relation se charge d’une tonalité nettement incestueuse. La petite Bunny, au nom de lapin de dessins animés, serait-elle l’enfant imaginaire d’un inceste ? Pourtant si inceste il y a on aura compris qu’il s’est agi pour ce couple frère-sœur d’un inceste de survie, qu’ils se sont raccrochés l’un à l’autre après une catastrophe. Leur père est mort à la guerre tué par un de ses propres chars, ce qui est non seulement une perte mais l’équivalent d’une trahison et d’une perte de sens. Leur mère a sombré dans la folie. On pourrait même soutenir, en suivant la pensée de Philippe Réfabert, qu’il n’y a là aucun inceste, même psychique, car il n’y a plus de frère ni de sœur mais deux êtres qui ne sont plus inscrits dans aucune généalogie, les liens généalogiques ayant été massacrés.
Mais cela ne peut durer toujours, il faut vivre. Un jour Ann Lake tente une sortie, elle a un enfant, un vrai enfant avec un géniteur qui n’occupera pas la place de père. Son frère ne peut l’accepter car cela signifierait la fin du jeu de l’enfant imaginaire qui avait été partagé par le frère et la sœur, incluant sa destruction imaginaire pour le faire naitre à nouveau. C’était un jeu traumatique, répétitif, rien ne pouvait être changé dans le scénario, mais c’était tout de même un jeu. L’espace du jeu une fois brisé il y a les conditions du passage à l’acte meurtrier.
Quand le superintendant Newhouse avait dit à Ann Lake que sa petite fille ne pouvait être loin, quand Ada Ford lui avait dit qu’elle s’était probablement endormie quelque part, l’un et l’autre ne croyaient pas si bien dire. Dans l’impressionnante scène finale Steven apparait pour ce qu’il est, un meurtrier qui a soigneusement préparé son crime et va l’exécuter, mais qui en même temps, comme divisé, hallucine son acte. Ann Lake montre alors qu’elle connait la folie de son frère et qu’elle sait l’évoquer sans la partager, en restant à la lisière. On devine qu’elle a toujours été sa thérapeute…mais qu’il devait rester son seul et unique patient. Quand elle s’adresse à lui à la troisième personne il répond de même et raconte tout, rétablissant la chronologie avant de se rendre compte que sa sœur n’aurait pas dû être là. Ann Lake passe alors au « tu » et Steven revient à son acte et se prépare à étrangler la petite fille. Ann renverse une nouvelle fois la situation en s’adressant cette fois au Steven d’avant la catastrophe initiale. Elle lui propose les jeux endiablés de leur enfance et Steven s’y absorbe au point d’oublier ce qu’il avait commencé. Puis il se fait mal et la douleur le replace brutalement dans le réel. Tant bien que mal, improvisant dans l’urgence, Ann le retient sur cette frontière du chaos temporel, le temps que la police arrive.
Ada Ford et Anna Freud
Le fantôme s’est imposé à moi en entendant que cette école était située dans le quartier de Hampstead. J’ai ressenti que j’assistais à un film hanté par les enfants perdus, séparés ou orphelins de la 2ème guerre mondiale. C’est alors, avant même que la résonance des deux noms ne m’ait frappé, que Miss Ada Ford cloitrée dans les combles de l’école, écoutant au magnétophone des cauchemars d’enfant m’est apparue comme l’ombre d’Anna Freud immobilisée pour l’éternité dans sa crèche de guerre de Hampstead, à l’écoute des enfants séparés et terrifiés… On sait qu’Anna Freud et Dorothy Burlingham publièrent en volume[iii] fin 1941 les compte-rendus mensuels des crèches de guerre de Hampstead. A ce propos Laurence Kahn[iv] fait justement remarquer que l’histoire de l’observation directe de l’enfant, un si grand enjeu pour la psychanalyse, commença en temps de guerre, dans un moment de désarroi et de chaos total.
Une génération plus tard Steve est le psychotique « normal » avec toutes les apparences de la réussite sociale, lançant des attaques meurtrières contre tout ce qui lui parait avoir fonction de liaison, et surtout contre tout ce qui pourrait lui enlever sa sœur, son objet qui ne saurait être perdu sans risquer de se perdre soi-même. C’est en 1959 que le psychanalyste WR Bion publie son célèbre article « Attaque contre les liens ». Quelques années avant Donald Winnicott avait introduit la notion d’objet transitionnel. Il le définit comme un objet réel qui ne fait pas partie de la mère mais n’est pas non plus une présence intérieure de l’enfant. Il est comme l’interface entre l’enfant et sa mère et occupe un espace où pourra se développer le jeu, et plus tard l’ensemble des phénomènes culturels.
La folie meurtrière de Steven qui ne peut supporter l’idée de quelque chose qui symboliserait la séparation doit d’abord s’acharner sur cette poupée avant de s’en prendre à l’enfant. Et finalement ce qui va « prouver » à la fois l’enfant et sa mère et le lien aux yeux de la société, c’est l’objet transitionnel qui relie et sépare, la poupée parlante qui a été leur bébé imaginaire, perdue puis retrouvée dans cet étrange hôpital (surgery !), qui évoque l’antre de Miss Ford en ce que quelqu’un s’y occupe également de réparer des infantiles blessés, sans épargner son temps. Puis le doudou déjà rencontré au début du film, et que la petite fille récupère à moitié brûlé. Elle s’endort alors calmement… dans la fosse qui devait recevoir son corps.
Nous sommes au milieu de la nuit, à la fin de cette longue journée. Le policier a terminé son travail. Il est temps de dormir, dit-il à la petite fille et à sa mère enfin réunies, « maintenant que tu existes ». Il a non seulement résolu son enquête et empêché un meurtre, mais aussi restauré en lui le lien attaqué. Pouvoir dormir n’est-ce pas pouvoir retrouver en confiance son monde interne ? Mais il faut pour cela un contenant sûr, par exemple une maison qui est aussi la maison intérieure, le contenant de la vie psychique. Dans le film tout ce qui a valeur de contenant est marqué d’insécurité : l’école, l’appartement loué par Steve et envahi de masques africains grimaçants. Pour ne pas parler du coffre de voiture où la petite fille a été droguée et séquestrée dès le matin comme on le comprend à présent, ni de la fosse creusée dans le jardin.
« Bunny Lake a disparu » est considéré par les critiques comme la dernière œuvre marquante d’une période ouverte en 1944 par Preminger avec « Laura », où un inspecteur enquêtant sur le meurtre d’une jeune femme tombait amoureux de son portrait. Dans l’un et l’autre film la frontière entre la réalité et l’imaginaire est fragilisée, mensonge et manipulation sont partout présents. Enfin ce sont des films d’intérieur où la maison impose une présence obsédante. Une question traverse le film, elle concerne à des degrés divers tous les personnages. Où habiter en sécurité ? J’y entends l’écho des bombardements massifs de la Deuxième Guerre mondiale qui ont détruit des maisons concrètes. Mais il y a aussi les enveloppes psychiques qui se déchirent. La folie ambiante, conséquence différée de la « folie des guerres », est cette déchirure. L’institutrice au magnétophone, le policier et le propriétaire (Laurence Olivier et Noël Coward) incarnent une génération profondément marquée par la guerre. A la génération suivante le sens du réel est attaqué, la psychose menace. Encore une génération et c’est l’enfant qui est en danger parce que dans l’esprit des adultes sa représentation interne se brouille. Un enfant qui ne peut être pensé est vulnérable. Ici le meurtre n’a finalement pas lieu. « Bunny Lake a disparu » est contemporain du « Blow up » d’Antonioni, film tout en simulacres où dans le même « swinging London » des années 60 un photographe ne parvient pas à faire croire à la réalité du meurtre que son appareil a fixé. Ces années euphoriques et dansantes résonnent alors comme une immense dénégation-réparation de toutes les souffrances passées dont on aurait bien voulu ne plus rien savoir une fois qu’on en était sorti. Mais avec la dénégation c’est aussi le sens de la réalité qui disparait. Ce n’est pas pour rien que le policier se nomme Newhouse : la maison est à reconstruire.
Une généalogie littéraire
La gestation de « Bunny Lake a disparu », inspiré d’un roman américain, fut longue et difficile. De grands scénaristes américains échouèrent dans l’adaptation à l’écran qui fut finalement l’œuvre d’un couple de scénaristes britanniques, John et Penelope Mortimer. John Mortimer était natif d’Hampstead et a produit des films pour soutenir l’effort de guerre britannique. Il a également écrit le scénario des « Innocents » de Jack Clayton, une adaptation du « Tour d’écrou » de Henry James. Dans leur adaptation il y a deux changements majeurs : l’action est transposée à Londres, accentuant le sentiment d’étrangeté d’être perdu dans une grande ville inconnue dont on parle pourtant la langue. Les scénaristes introduisent le personnage du frère et avec lui le thème de l’inceste.
Toute une généalogie littéraire se dessine, parsemée d’œuvres où la frontière entre la réalité et le rêve ou le fantasme tend à s’effacer. Frogmore End 30 est l’adresse fictive d’une demeure historique bien réelle nommée Cannon Hall et située également dans le quartier de Hampstead. Le vieux canon qui lui donne son vrai nom est bien visible à l’image. C’est un lieu chargé d’histoire où vécut l’écrivaine Daphné du Maurier, l’autrice de « Rebecca ». Dans le film Daphné est aussi le prénom de l’institutrice qui, on le sait maintenant, n’a jamais rencontré Bunny, déjà enlevée par Steven. Daphné du Maurier était la petite-fille de l’écrivain et dessinateur George du Maurier, auteur de « Peter Ibbetson » et ami de Henry James.
Quant à George du Maurier, il évoque la figure de James Matthew Barrie, l’inventeur de Peter Pan, celui que Daphné du Maurier appelait « oncle Jim » car elle était cousine des enfants Llewelyn Davies dont Matthew Barrie devint le tuteur à la mort de leurs deux parents. Dans « Peter Pan le garçon qui ne voulait pas grandir » (1904) puis dans « Peter et Wendy » (1911) Peter Pan, qui ne connait pas le temps et ne sait pas ce que signifie grandir, revient voir Wendy qu’il avait jadis -mais pour lui c’est toujours maintenant- entrainée au Never Never. Il découvre une femme adulte et un enfant dans un berceau. Elle n’avait pas le droit ! Ann Lake non plus. Ainsi Steven m’est apparu, par la logique du récit, comme un avatar de Peter Pan dont il constituerait la face tragique, la face nocturne. Ce film qui est comme un mauvais rêve dont on se réveille à la fin pourrait se référer à un conte qui fonctionnerait à la manière d’un rêve. Steven fixé traumatiquement à son enfance ne peut pas grandir et ni tolérer qu’autour de lui on grandisse, et il est prêt à tuer pour maintenir l’illusion. Le « Never Never » où il vit, c’est sa voiture de sport et la vie aventureuse que peut-être il s’invente. Il est de ces êtres sans poids, sans ombre ou sans reflet, « gais, légers innocents et sans cœur » dont Peter Pan reste le modèle indépassable. Mais c’est un Peter Pan désespéré qui se prépare à tuer un enfant au lieu de proclamer, mais pour lui-même, que la mort pourrait être « la plus grande des aventures ». Un Peter Pan démonétisé, qui ne porte plus rien du pouvoir de renouvellement vital recherché dans un retour à l’enfance, sans l’espoir de la remise en chantier de la blessure des origines.
[i] Dans notre système cet établissement qui accueille aussi des bébés de dix-huit mois tiendrait à la fois de l’école maternelle et de la crèche ou jardin d’enfants.
[ii] Comme il l’a été lui-même, on peut le supposer.
[iii] « Enfants sans familles » P.U.F. 1949
[iv] « Cures d’enfance » Gallimard 2004

[i] Ce texte vient en complément de « Pour saluer Peg Belson » où je revenais sur cet effort, tel que je l’avais vécu, et j’espère poursuivi avec mes moyens. Le lecteur intéressé peut s’y reporter.
