L’image révélatrice
L’image rend évident ce qui dans le vécu quotidien reste invisible, avec des effets imprévisibles, éventuellement à la limite du traumatique. J’avais pu en faire l’expérience lors des deux présentations à l’HEGP du film « Etats de service » tourné dans le service d’Hémato-cancérologie de ce même hôpital. C’était au fond un dispositif original mais piégeant que cette projection d’un film tourné dans un service hospitalier en présence de ceux et celles qui y travaillaient, mais en l’absence de ceux qui l’avaient réalisé et qui présents auraient pu s’expliquer sur leurs options et leurs intentions.
La tentation était forte de confondre les deux plans. Ce que nous voyions était un film, une création culturelle avec un point de vue, pas une simple copie du réel, à supposer qu’une telle copie soit possible. La tendance était presque invincible à confondre l’œuvre et la réalité, à oublier qu’il y avait là un point de vue, des choix esthétiques qui auraient pu être différents. Comme les autres je me suis trouvé piégé ce soir-là dans l’image, au point de la confondre avec le réel, de ne plus trop savoir de quel côté de l’écran je me trouvais. Les conflits qui éclatèrent alors étaient l’effet de la mise en images du réel, sans accompagnement, devant ceux qui le vivaient.
Première séance. Ce qui est criant à la première vision ce sont les stratégies du pouvoir médical. Les plans muets des patients se succèdent, comme s’i l’on voulait donner une place à tout cet indicible de la maladie grave, à tout ce qui est réduit au silence par le cadre même, avec les meilleures intentions. Les longs plans fixes sur les visages, l’utilisation de musique baroque, musique des passions de l’âme, suggèrent en creux la présence muette de la parole et tout à la fois marquent son absence.
Dans le débat je relève le moment où un patient dit au cancérologue comme en confidence que son frère est mort, propos qui dans le film n’est relevé par personne et se perd dans le vide. Mon intervention est sèchement reçue : « vous êtes dingue ! ». Familier de l’hôpital je ne m’en formalise pas trop, sachant bien que de telles qualifications y sont courantes. Je repense à une déclaration identique que rapporte l’anthropologue MC Pouchelle (« L’hôpital corps et âme-Essais d’anthropologie hospitalière » Seli Arslan 2003) chuchotée, comme hasardée, comme parle celui qui n’est pas certain d’avoir un interlocuteur : « …Et mon frère est mort… ». Celui qui parle est un patient âgé se réveillant difficilement, ou peut-être ne voulant pas se réveiller, d’une opération cardiaque.
Or je n’ai pas avancé un lien causal possible entre le cancer et les événements de vie ou les deuils. J’ai simplement relevé cette parole qui me paraissait tomber dans le vide alors qu’elle était émise pour être écoutée. Mais je suis malgré moi entrainé sur le terrain où je ne désirais pas aller, celui de la preuve, par la violence même des réactions que cela suscite. Oui les statistiques l’affirment, et on me le fait savoir plutôt rudement : il n’y a aucune relation causale prouvable à ce jour entre un deuil récent et le déclenchement d’un cancer.
Et c’est vrai l’approche statistique n’a pas apporté ce type de preuve, mais le pouvait-elle ? La statistique ne répond qu’aux questions qui lui sont posées et celle-là était probablement mal posée, si elle se centrait sur la recherche d’un lien linéaire d’événement à événement sans passer par la médiation de la représentation et du sens, qui justement ne se prête pas, ou pas de cette manière, à la quantification. Toujours est-il que cette violence verbale étonne, son caractère défensif est évident. Ce que j’avance est peut-être faux peut-être vrai, ou à la fois faux et vrai, on ne sait pas, on ne cherche plus à savoir. Une chose est certaine : c’est ressenti comme dangereux.
Ce qui fait rage dans cette réunion c’est la confusion entre cause et sens, entre collectif statistique et vécu individuel. Pour ce patient, à ce moment où sa grave maladie lui est révélée, la mort du frère fait sens et il faut bien que quelqu’un l’entende et le partage. Si ce n’est pas le médecin, tout occupé à lutter contre la tumeur maligne, qui alors ? Un psychiatre m’explique la violence du médecin qui m’a apostrophé : selon lui les médecins en ont assez de voir venir des patients qui s’auto-culpabilisent. Pour lui ce ne peut être le travail du cancérologue d’entendre même simplement cette intrusion des événements de vie.
D’accord, j’en conviens sans peine mais quand je demande de qui c’est le travail… je reçois un drôle de regard du professionnel qui se sent mis en cause au cœur même de son rôle. Vu ainsi le travail du psycho-oncologue est un peu celui du médecin d’entreprise. Il pare au plus pressé, il s’assure que les choses continuent à tourner, il aplanit quant il le faut. Au risque d’euphémiser, de banaliser les conflits, de les vider de leur sens. Il méconnait peut-être que le patient qui s’accuse d’être tombé malade tente à sa manière de reconstruire un sens dans l’absurde de sa situation.
A la deuxième projection du film, où je choisis de rester silencieux, les psychanalystes présents parlent de défaut de parole, de sadisme médical, des regards comme refuge ultime d’une vie relationnelle qui n’a pas de lieu. Le psycho-oncologue a de nouveau une vision différente. Il a perçu, lui, le très puissant investissement affectif qui circule dans tous ces regards muets sur lesquels la caméra s’attarde, et bien sûr il a en partie raison : travaillant avec ces gens que pourrait-il obtenir d’eux en insistant sans arrêt sur leurs manques ? Il serait trop simple, et tout simplement absurde de conclure que les soignants ne ressentent rien face aux enjeux de vie et de mort qui font leur quotidien. Il n’empêche, ce ne sont que des regards. Et ils seraient probablement passés inaperçus, ils n’auraient pas eu d’existence réelle sans le travail de cadrage qu’opère la mise en images filmées.
C’est alors qu’il est violemment et publiquement interpellé par ses collègues sur des thèmes de pouvoir et de concurrence pour les postes dans ce centre hospitalier. En contrepoint des patients guéris présents dans la salle disent leur amour pour ceux qui leur ont sauvé la vie. C’est la confusion, plus personne ne parle du film. Amour et haine circulent et s’entrechoquent sans médiation dans un monde binaire où plus personne n’écoute personne. Toutes ces interventions contradictoires qui dégagent une impression confuse sont également applaudies. L’auditoire est comme fasciné. Le cancer fonctionne comme un objet massif capable de bloquer toute autre parole que celle qui aurait trait à la guerre qui lui est livrée. L’adaptation absolue a pour corollaire la nécessité de se révolter contre elle, et aussi l’impuissance de cette révolte, tout de suite contredite au nom des nécessités médicales. Et tout cela tourne en rond sans fin.
La possibilité pour le patient de construire un récit de ce qui lui arrive est tout à la fois suggérée et déniée. Danièle Brun commente (« Habiter son corps » Recherches en psychanalyse 2006 n° 6) cette exclusion de la parole. Elle aussi relève l’absence chez les professionnels de toute réflexion sur les enjeux psychiques d’une grave maladie somatique, carence qui aboutit à faire du patient « un automate de son traitement », le réduisant à la condition dont parle Samuel Beckett : « Mon corps faisant de son mieux sans moi… ».
Mais qu’y a-t-il de si dangereux à prendre acte de l’imaginaire qui se remet en route autour de la maladie ? Tout en reconnaissant que souvent le temps manque, je crois pouvoir dire qu’il y a plutôt confusion entre le temps et l’espace. Ce qui manque c’est, bien plus que le temps, l’espace mental pour cette parole. Ce soir-là je commence à percevoir ceci : l’institution hospitalière exprime et matérialise dans son fonctionnement cette impasse, et en général sans s’en rendre compte la renforce et la pérennise. Ce qui est institutionnel ne l’est pas sans raison : il y a une ligne rouge à ne pas dépasser, implicite et invisible, au delà de laquelle la question du pouvoir sur les corps peut être posée. Tant que vous êtes en deçà de cette ligne on vous laisse faire, on vous laisse parler, cela ne dérange pas. Il y a un accord implicite entre ce qui est proposé à ces patients sur le plan matériel, et un type de fonctionnement psychique auquel ils risquent de se trouver réduits, sans rêve ni affect.
Un travail en cours ?
Il n’empêche, un souffle d’utopie était passé ce soir-là, timide, presque clandestin, bientôt étouffé dans la rumeur des oppositions stériles, la noise de Michel Serres… Utopie la possibilité d’accorder même valeur au discours scientifique appuyé sur la preuve, et au récit singulier qui ne s’autorise que de la subjectivité et contient en lui-même sa propre validation, avec un égal droit à se dire et à être pris en compte. Marier la preuve scientifique et le récit en première personne. Une preuve est une preuve, elle a un niveau donné et un champ de validité donné, une autre preuve peut la contredire ou la limiter. En revanche tout ressenti, tout récit a droit de cité, mérite d’être entendu. Si le récit ne prouve pas, il ne se contredit pas non plus et n’a pas à se prouver.
L’enjeu était bien la possibilité d’une représentation, d’une mise en récit. Lors de ces projections de film j’avais peut-être sous-estimé l’aspect le plus immédiat, « ne pas supporter », au détriment de celui plus évolutif de « travail en cours ». Pour supporter de regarder les aspects les plus problématiques, mais aussi les plus vrais de sa propre pratique ne fallait-il pas qu’elle ait déjà commencé à changer ? Avec le recul il devint plus visible que le conflit ambiant témoignait d’un douloureux travail pour sortir de la fascination. Et que cette sortie était engagée du simple fait que le film avait été possible, que toute l’équipe s’était prêtée aux contraintes de sa réalisation (bien que j’ignore tout de ce que cela avait induit dans la vie du service). Et qu’enfin ils étaient venus nombreux pour assister à ces projections qui les valorisaient. Mais un travail c’est parfois violent.
S’y ajoutait une violence d’une autre nature qui à l’époque m’avait échappé. Le film avait été tourné dans les locaux de l’hôpital Laënnec peu de temps avant sa fermeture et avant le transfert du service dans les locaux de l’hôpital Européen Georges Pompidou : « Je crois que les malheurs de l’HEGP unanimement loué par ailleurs pour ses qualités d’ambiance, viennent de sa taille, de sa mécanisation et du fait que s’installe une espèce de déconnexion entre les personnels médicaux et la machinerie qu’on a remise un jour J entre leurs mains. Cette machinerie avait eu, avant eux et en dehors d’eux, sa vie propre ». L’architecte Georges Chemetov qui tient ces propos (Quotidien du Médecin juin 2001) aurait pu ajouter que les soignants avaient eu aussi leur vie dans d’autres contextes engendrant d’autres rapports humains, ceux des hôpitaux pavillonnaires du début du 20ème siècle.
Mais qu’y avait-il de si dangereux à prendre acte de l’imaginaire qui se remet en route autour de la maladie ? Peut-être la confusion entre le temps et l’espace. Ce qui manquait c’était l’espace mental où déployer une parole. Certes la séquence livrée telle quelle, non scénarisée et sans commentaires autre que la musique (comme dans la défunte l’émission « Brut ») marquait bien que l’on avait affaire à des images « instituées » qui se passaient de commentaire parce qu’elles faisaient désormais partie de notre capital de représentations collectives. Mises en dispositif, elles devenaient objet de culture, et en cela n’étaient pas « brutes ». Elles pouvaient en revanche être brutales.
Dans ces réunions les professionnels avaient manqué de la reconnaissance qui leur était due pour avoir tout simplement supporté ce premier pas. Et je pouvais m’inclure dans ce manque. Dans quelles conditions ces images avaient-elles été obtenues ? Quel travail avait été fait, ou pas fait, entre l’équipe de tournage et l’équipe soignante, chacune avec sa personnalité et son savoir professionnel ? Tels étaient les facteurs cruciaux pour un travail sur l’image qui contribuerait à changer la réalité.
Pour un usage bien-traitant de l’image
A d’autres occasions j’avais été confronté aux pouvoirs de l’image, de la représentation, j’avais expérimenté ses pièges. Mon collègue Daniel Annequin, nourri à l’école du CFDJ de Vitry avec Stanislaw Tomkiewicz et Jo Finder, avait su faire un large et intelligent usage de l’image filmée comme catalyseur de changement. Il arriva parfois que la réaction chimique s’emballe dans la surchauffe. Il avait projeté devant une équipe de cardio-pédiatres le film qu’il avait tourné pendant leurs gestes, des cathétérismes cardiaques sur des bébés. La vision du film fut une expérience assez violente qui sembla leur faire découvrir leur propre pratique comme s’ils ne l’avaient jamais vue avant (et c’était le cas !), et du même coup la réalité de la douleur des bébés. L’organisation de cette séance de projection en commun avait demandé un long travail, dont la difficulté aurait déjà pu alerter sur ce qui était en jeu. Au final il fut impossible de faire le bilan de cette expérience, et même de connaître le devenir de ce film, sa vie ultérieure. Images perdues, support d’une réflexion encore inaccessible…
L’image est dangereuse. Dans Hamlet, Claudius l’usurpateur qui a assassiné le roi légitime et épousé la femme de ce dernier vit très bien son usurpation. Mais il ne peut supporter la représentation qui en est faite devant lui, pièce dans la pièce, par une troupe de comédiens ambulants. Ce qui était bien l’effet recherché par le prince Hamlet, qui se servait de l’image comme d’une arme.
A l’hôpital d’enfants Armand Trousseau les médecins de l’unité des enfants brûlés avaient initié, à la fin des années 80, une réelle prise en charge de la douleur. Ainsi tous les bains quotidiens qui faisaient partie du traitement se faisaient désormais sous anesthésie. Mais il existait des images plus anciennes de bains sans anesthésie, images extrêmement pénibles dans leur violence. Or il arriva que les personnels de cette Unité refusèrent tout net de revoir ces images qui témoignaient de leur pratiques passées, qu’ils avaient pourtant assumées, et oublièrent jusqu’à leur existence tant elles éveillaient chez eux une culpabilité insupportable.
Dans ces scènes de la vie hospitalière les conditions avaient probablement fait défaut pour un usage bien-traitant des images et des représentations, parce que ces conditions n’avaient pu être réfléchies au moment opportun. Un tel usage est possible. Il suppose une implication plus active, une plus grande maitrise des personnels sur la réalisation et les choix esthétiques. N’aurions-nous pas du, dans le cours même de la réalisation de cette maquette de bloc opératoire, avant son inauguration, réfléchir avec les personnes représentées, sur ce qu’allait impliquer cette installation dans leur quotidien ?
Quand le travail sur la représentation change la réalité
L’association Sparadrap avait fait réaliser par un artiste plasticien Maquette interactive représentant fidèlement le bloc opératoire et la salle de réveil d’un service de chirurgie pédiatrique.
Je reprends mes notes de septembre 1995, pour l’inauguration officielle :
« Sur France 2: « L’hôpital Trousseau vient de prendre une initiative… » Dans la revue de l’AP-HP: « les infirmières ont eu une idée… » Bon, et l’association alors ? Et l’artiste, le talentueux Yorane Lebovici ? Et les financeurs? Bien il faudra s’y faire. Les chargées de communication, leur parler si particulier, l’impression qu’elles assument cela totalement comme un rôle social, servantes d’un rite… La puissance de l’image est là. J’explique aux éducatrices que l’on a délibérément montré un lieu fermé, et que les réactions seront fortes. Des familles restent à distance prudente, c’est l’enfant qui s’avance. J’entends aussi: on dirait des santons, la crèche de Noël… Une femme en boubou, très belle, sort de l’ascenseur avec son enfant pendant la prise de vue et se trouve dans le champ de la caméra… d’où elle est écartée sans paroles. Une autre mère fait tout son possible pour être filmée, son enfant n’a pas l’air trop content et demande si on va rester longtemps… Ce moment silencieux semble préfigurer l’incident bruyant qui suit.
Tout à coup un infirmier fait irruption du service des grands brûlés, pieds nus, criant que cette maquette est raciste, que lui est infirmier et noir, que le docteur M est noire, qu’il va se plaindre au chef de service. Effectivement la maquette figure un aide-soignant noir poussant un brancard. Mais l’artiste avait travaillé d’après nature, il n’avait montré que ce qu’il observait tous les matins dans ce bloc opératoire. Ainsi ce qui se vivait au quotidien devenait intolérable dès lors que c’était montré. On supporte la réalité de chaque jour, on ne supporte pas qu’elle soit montrée. Mais le travail de représentation avait aussi rendu possible une protestation ouverte… »
Les débuts de cette Maquette seront difficiles : elle éveille des jalousies, on se plaint du bruit du système électrique, elle est débranchée, détériorée, changée d’étage, elle tombe en panne. Hostilité, indifférence… Elle est objet de désir et de rejet, entre ceux qui ne la tolèrent pas bien parce quelle induit un rapport à l’enfant malade auxquels ils ne sont pas préparés… et ceux qui se plaignent de ne pas l’avoir.
Peu à peu elle s’intègre à la vie de l’hôpital. On vient la voir de l’extérieur. Un mémoire de psychologie (Camille Chevillot) montre qu’elle agit comme révélateur d’une lourde charge d’angoisse chez les enfants et les parents. Les électriciens du service technique s’y intéressent, ils l’adoptent et trouvent des solutions. La directrice du Centre scolaire, Hélène Voisin, réalise les possibilités ouvertes. Elle organise une réunion retransmise en vidéo sur le circuit interne de l’hôpital. Je réponds en direct aux questions des enfants :
Pourquoi quand on m’a mis le masque je me suis débattue ?
Pourquoi quand je me suis réveillé j’avais du mal pour respirer ?
Pourquoi quand on m’a opéré de l’appendicite, j’ai eu mal à l’épaule ?
Le masque sent le vomi…
Bref on est dans le concret.
Je voudrais enfin revenir sur l’important travail réalisé dans un service de Pneumologie pédiatrique pour intégrer les parents lors des fibroscopies bronchiques des enfants. Là aussi la décision de représenter pour informer avait induit le changement. Je reproduis l’interview réalisée en 2010 par l’association Sparadrap d’un médecin qui fut à l’origine de ce changement :
Qu’est-ce qui a déclenché le changement de pratique ?
Avant il y avait une lettre d’information aux parents au moment de signer le consentement aux soins. Elle était compliquée, austère, pas du tout adaptée à l’enfant. En même temps nous utilisions déjà les livrets Sparadrap qui sont des outils incroyablement utiles. Mais il n’y en existait pas sur la fibroscopie bronchique.
Nous avons alors contacté l’association avec un projet de livret mais cela n’a pas pu aboutir pour diverses raisons, en particulier l’hétérogénéité des pratiques qui faisait problème, certains par exemple pratiquant la fibroscopie sous anesthésie générale, d’autres pas. Je me suis alors mise moi-même au travail pour réaliser un livret type livret sparadrap avec des explications plus simples, plus ludiques et des illustrations. Je dois dire que ce travail de représentation de nos pratiques nous a questionnés. Le fait par exemple de représenter la contention des enfants a été mal supporté par mes collègues, même si ces sangles élastiques sont mises en place seulement après l’inhalation du Meopa (un gaz analgésiant). Ils ont été choqués, alors que c’est ce qu’ils vivaient chaque jour ! Le choix était donc de changer les pratiques, ou bien de les assumer.
Comment avez-vous procédé ?
Nous avons confectionné ce livret à partir de questions aux parents et aux enfants pour savoir ce qui gênait le plus. Nous avons ainsi découvert que la lumière vive gênait beaucoup les enfants, et nous avons modifié l’éclairage. L’odeur de plastique des masques était également désagréable et nous avons pris l’habitude de les parfumer selon leur convenance avec des feutres parfumés. Nous avons aussi introduit de la musique.
A ce moment de notre réflexion, la présence des parents pendant l’endoscopie bronchique n’était pas envisagée. C’est le refus de Sparadrap à collaborer avec nous, qui était en partie motivé par ce problème, qui nous à interpellés sur ce point. De riches discussions au sein du CLUD (Comité de lutte contre la douleur) m’ont poussée dans mes retranchement gommant un à un tous les arguments avancés par habitude : ça ne s’est jamais fait, il fait trop chaud, il n’y a pas assez de place, et si les parents nous gênaient, faisaient un malaise, comment former les internes en présence des parents etc…
Forte de ce constat et avec l’accord de l’équipe, j’ai commencé à faire rentrer les parents lors de la fibroscopie quand c’était moi qui les réalisait avec une évaluation simple de l’équipe, des parents et de l’enfant (au-dessus de 6 ans) sur le vécu de l’examen. L’objectif étant de donner des arguments forts et objectifs à mes collègues pour les convaincre.
Qu’est-ce que cela a apporté ?
Cela nous a juste changé la vie ! L’avis a été unanime (équipe, parents, enfants). Il y a eu tout de suite moins de contention des enfants parce que les enfants étaient calmes, on prenait le temps… Le geste même a changé, ce n’était plus « la bagarre ». Nous avons réalisé une évaluation auprès des enfants, des parents et de l’équipe, en essayant d’être aussi rigoureux que possible. Il y a donc eu un premier livret sans les parents, puis un deuxième avec, après cette évaluation. A ce moment-là j’étais encore seule à faire entrer les parents, mes quatre autres collègues fibroscopistes ne le faisaient pas encore, mais l’équipe infirmière était la même pour tous les médecins.
Il y avait le problème de la formation, puisqu’en général c’est l’interne qui commence la fibroscopie, le médecin titulaire étant toujours prêt à intervenir. Les parents savent bien que dans les hôpitaux on forme les plus jeunes et cela n’a jamais fait problème. Il faut aussi informer les parents de ce que l’on découvre à l’examen, il peut toujours y avoir quelque chose d’anormal ou d’inquiétant. Je dois dire que tous ces problèmes ont pu être gérés. L’équipe craignait de ne pas pouvoir parler librement, plaisanter, d’être moins détendue. Il y avait aussi la crainte de parents au comportement gênant, qui augmenteraient l’anxiété de l’enfant, qui feraient un malaise… Aucune de ces craintes ne s’est vérifiée, les parents ont toujours été plutôt facilitateurs. Très peu, environ 2%, ont refusé d’accompagner leur enfant, et ils se sont en général montrés capables de prédire l’état d’anxiété de celui-ci. Aucun des parents présents n’a « craqué ». De toute façon ils sont toujours libres de sortir et de s’asseoir dehors. Ils tiennent la main de l’enfant, lui parlent ou chantent. Nous ne voyons pas de parent « figé » qui ne sait pas quoi faire.
Nous avons maintenant un an de recul avec environ 15 fibroscopies par semaine, la présence des parents est maintenant bien installée. L’équipe présente est relativement nombreuse (le médecin, une infirmière, une aide-soignante, plus un interne et éventuellement un externe. Il y a donc toujours quelqu’un pour « chouchouter » le parent. L’alliance thérapeutique se fait naturellement. (…) C’est maintenant une demande de l’équipe soignante.
Avant je ne peux pas dire que l’on supportait, mais on faisait comme cela parce que « c’était comme ça » ! Nous avons encore l’exemple de certains kinés qui pensent qu’il est nécessaire que l’enfant pleure. C’est le Clud qui nous a beaucoup aidés. Il nous a dit que non, ce n’était pas normal. Il a valorisé nos efforts nos petits pas en avant, sans jamais nous culpabiliser. Au total c’est vraiment du gagnant-gagnant, tout le monde en bénéficie. Pour l’avenir nous pensons à élargir la présence des parents, en particulier à les faire entrer pour les ponctions pleurales, un autre geste fréquent et impressionnant.
Ainsi c’est la mise en images des pratiques quotidiennes par ceux et celles qui y sont impliqués qui induit le désir de les changer. Dans un deuxième temps le refus de l’association Sparadrap d’apporter son concours à une organisation qu’elle ne peut approuver ne démobilise pas l’équipe mais renforce au contraire sa dynamique. A partir de là tout s’enchaine et les bénéfices ont à peine besoin d’être prouvés…